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Voici pour chaque roman le quatrième de couverture ou un extrait. Bonne lecture !
Revoir Maud
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Extrait...
Vendanges Posthumes
Vendanges Posthumes
Vendanges Posthumes
Mes Schubertiades

Beaucoup de gens déambulent encore dans les allées en ce lendemain du jour des défunts. Qu’ils soient huppés, comme ici, à Wärhing, ou populeux, comme tant d’autres dans la banlieue de Vienne, les cimetières sont tous fréquentés par les mêmes gens : des mères éplorées, d’autres affairées à la toilette des tombes, des hommes qui ne disent rien, des indifférents qui posent rapidement une plante banale, des enfants qui n’ont rien à y faire… Seuls les habits changent. Mais l’habit ne fait pas la douleur.

Le luxe des sépultures diffère aussi. Tout en avançant lentement, Franz lit des noms, des dates. Un couple, parti peu de temps l’un après l’autre, une jeune fille de dix-huit ans, et tant d’enfants, deux ans, quelques mois, quelques jours… Il ne laisse rien paraître de son malaise. Des lamentations de violoncelles flottent dans sa tête.

Les deux frères approchent du monument funéraire de Ludwig von Beethoven. Là, ils sont à une dizaine de mètres, et ne peuvent se douter que dans une vingtaine de jours… 

Ils découvrent le monument sous lequel repose le grand génie, parti à cinquante-six ans. Franz se souvient bien de l’inhumation, il y a un an et demi, de l’oraison funèbre de son ami Grillparzer, lue par un comédien. Mais il n’était plus venu depuis. La sépulture, blanche et simple, le fascine. Un simple frontispice, joliment gravé, surplombé d’un obélisque orné d’une lyre de métal jaune. Le tout ne fait pas plus de deux mètres de haut. Franz s’attendait à un monument plus imposant et plus austère. C’est de la poésie que lui chantent ces pierres.

Qu’avait-il dit, exactement, au cercle d’amis rassemblés dans ce café ce jour-là, à propos de celui qui serait le suivant ? 

Un peu en retrait, Ferdinand respecte le recueillement de son frère, tout en se demandant quelles sont les pensées qui errent dans cette tête inclinée aux cheveux clairsemés, dérangés par le vent. Le buste est voûté, les mains croisées dans le dos, tenant son chapeau.

Un couple de personnes âgées passe devant eux sans leur prêter la moindre attention et dépose une petite gerbe de fleurs. Après avoir chuchoté quelques mots, les deux petits vieux s’éloignent, suivis du regard par Franz.

– J’aimerais être inhumé ici, dit-il sans tourner la tête.

Cette pensée inattendue désarçonne Ferdinand, qui n’est même pas sûr de l’avoir bien comprise. Les yeux un peu agrandis, il regarde la nuque de son cadet, mais sans trouver la moindre parole. Franz reporte son regard sur la sépulture. Si je devais mourir bientôt, se dit-il, aurais-je, là où je serai, la consolation posthume de voir des gens s’attrister ou s’effrayer d’un départ trop précoce ? Mais, avant de passer, pourrais-je supporter leur apitoiement, leur gêne, voire leur dégoût, et ne pas enrager d’admettre qu’ils ne pourraient avoir d’autres pensées ? Voilà pourquoi il me faudra mourir seul.

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